Tout d’abord, il faut déterminer quel est le périmètre comparable, il serait évidemment mal venu de comparer Don Ernesto Valverde avec un mec qui a coaché au Barça durant les années 50 par exemple. Nous allons donc fixer le périmètre aux coachs ayant exercé à partir des années 90, ce qui correspond au football moderne, ça semble pertinent dans le cas du Barça, car d’une part, sur cette période, Barcelone reste de façon stable parmi les clubs riches du football mondial, d’autre part le centre de formation du club fourni des pépites sur toute cette période.

Ensuite le travail d’un coach devant se mesurer sur le moyen et le long terme, il convient de ne pas comparer Don Ernesto avec des coaches n’ayant pas vécu plus d’une saison sur le banc. Il reste donc dans notre échantillon comparatif : Johan Cruijff, Louis van Gaal, Frank Rijkaard, Pep Guardiola et Luis Enrique. On va pouvoir balayer une première idée reçue qui revient souvent lorsque l’on parle de Valverde, c’est le fait qu’il gagne des titres, son football pragmatique ne fait pas bouger les foules, mais cela remplirait l’armoire à trophée du club. C’est évidemment faux, car il est celui qui a gagné le moins parmi notre liste de coach (ils ont tous, a minima, deux Liga et une Copa). Cette fausse idée de football victorieux étant balayée, nous allons pouvoir nous concentrer sur le contenu des saisons où Don Ernesto à diriger l’équipe première.

[ Temps de lecture approximatif : 10-12 minutes]

Valverde Barça

2017/18 – la première partition

Ernesto Valverde Tejedor arrive à l’été 2017, en succession de Luis Enrique Martinez, et d’un Barça à bout de souffle la saison précédente. L’été 2017 est mouvementé au Barça, la saga Neymar bat son plein. Le Brésilien sait depuis le mois de juin qu’il va signer au PSG, mais il va faire durer le suspense jusqu’au mois d’août pour pouvoir toucher une prime du Barça (fin juillet). Une fois le transfert acté, il ne reste que quelques semaines au Barça pour trouver son remplaçant, dans le même temps, une motion de censure est lancée contre Bartomeu, le panic buy paraît inévitable. Le Barça mise gros, très gros (trop gros), sur Ousmane Dembélé qui, après avoir séché l’entrainement au BVB, débarque en catalogne pour un montant record de 145M€ bonus inclus et un salaire astronomique net estimé à 12M€ par saison. Sur le terrain, Dembélé va malheureusement rapidement se blesser (contre Getafe).

Valverde Barça

Valverde va tenter différentes approches en début de saison pour trouver son onze, Paulinho, Deulofeu, Denis Suarez, André Gomes, Arda Turan, de nombreuses alternatives sont essayées en début de saison. Messi commence la saison en faux 9 et tient la baraque quasiment tout seul. Ses systèmes avec des ailiers percutants (Deulofeu, Denis) ne paient pas. À la fin de l’automne, Don Ernesto trouve enfin son système, un 4-4-2 à plat. Un système pragmatique qui a pour but principale de contenir son adversaire, de le gérer, puis de le tuer sur les quelques actions offensives que l’équipe obtient, comptant sur l’efficacité du duo Leo-Lusito. Et c’est suffisant pour battre les équipes de Liga, le Barça est quasi-champion fin décembre. Mais en ligue des champions, c’est une autre paire de manches…

En Liga, perdre contre le Barça c’est juste une défaite, un match parmi d’autres pour les adversaires. En C1, les adversaires ont plusieurs semaines ou mois pour préparer le match, ils viennent sur le terrain avec un plan précis pour faire déjouer le Barça, et c’est exactement ce qui va se produire. Entre-temps, le Barça a posé 160M€ sur Coutinho, cette fois-ci le transfert est bouclé, le Cou arrive en Catalogne, c’est un grand coup en apparence mais au fond, Valverde va se retrouver avec une nouvelle recrue phare à intégrer à son système, tout en sachant qu’il ne sera pas là pour la C1.

Le Barça rencontre donc Chelsea en 1/8eme de finale, et Conte va venir avec une idée précise pour faire mal au Barça. En face le Barça est rentré sur le terrain comme tous les autres matchs, il n’y a aucune préparation spécifique visible pour ce match.

Valverde Barça

C’est une leçon de foot de Conte, le Barça n’existe pas, pire encore, le Barça est incapable de réagir, Willian, le joueur le plus dangereux côté Blues a trouvé deux fois les montants avant la mi-temps, sur des actions similaires à chaque fois… Ça ne va pas l’empêcher de se retrouver une nouvelle fois tout seul à l’entrée de la surface, complètement oublié, cette fois-ci, ça fait mouche. Assez incroyable de constater qu’une équipe de cette envergure est incapable d’ajuster sa tactique en cours de match, et de tomber trois fois dans le même piège. Au final, une perte de balle de la défense de Chelsea permettra au Barça de repartir avec un score plus que flatteur de 1-1 (It is what it is). Au match retour, le Barça souffre tout autant, Messi une nouvelle fois nous sort plusieurs éclairs de génie qui collent un cinglant 3-0 aux Blues. Mais tactiquement, une fois de plus, le Barça a souffert, énormément.

En Quart de finale, le Barça joue l’adversaire le plus abordable, l’AS Roma. Après un match aller brouillon et une victoire assez confortable 4-1, le Barça se rend à Rome pour le match retour. Une fois de plus le Barça se retrouve pris au piège d’une équipe qui a parfaitement préparé son match, le Barça est à l’agonie dès le début du match, incapable de réagir. Et c’est là où l’on va constater, une nouvelle fois, la plus grosse lacune managériale de Valverde : l’incapacité à réagir lorsque son équipe est dos au mur. Un coach peut évidemment se tromper sur son line-up ou se faire avoir par la tactique adverse, mais il s’agit à ce moment-là de savoir réagir, de changer son dispositif (il faut pour cela avoir travaillé de nombreux dispositifs à l’entrainement en amont). Le discours de la mi-temps n’y changera rien, le Barça rentre sur le terrain en deuxième mi-temps comme la première, les changements de Don Ernesto n’aideront pas non plus, André Gomes entrera pour Iniesta. Mais encore plus surprenant, Paulinho, joueur très utilisé le reste de la saison, et capable de répondre au défi physique engagé par le milieu Romain, ne rentrera pas en jeu… incompréhension totale… Cette défaite 3-0 sera encore plus dur à avaler quelques jours plus tard quand le Barça livrera la meilleur presta de la saison en finale de Copa.

Manolas Barça

Le Barça remporte donc la Liga et la Copa, mais la manière dont le Barça est éliminé laisse des traces. La manière dont le Barça joue plus globalement durant toute cette saison laisse un goût amer.

2018/19 – la consécration

Pour cette deuxième saison, Valverde dispose d’un effectif bien plus cohérent, Coutinho est full dispo, Paulinho a été glow up avec Arturo Vidal, Clément Lenglet et Arthur se sont rajouté à l’effectif. Une nouvelle fois, Valverde va tenter des choses en début de saison, un milieu à trois avec Coutinho Busquets Rakitic, il trouvera son système en octobre, Arthur sera intégré au milieu à la place de Coutinho, qui lui va monter d’un cran et être libéré des tâches défensives. Ce sera donc un 4-3-3 pratiqué sur cette nouvelle saison, mais un 4-3-3 atypique, le milieu n’était pas en triangle, mais plutôt en ligne, les milieux centraux n’ont pas pour mission de venir se positionner entre les lignes, mais de rester assez bas, au niveau de Busquets.

valverde Barça

Les ailiers, eux, sont positionnés dans le half-space, l’espace entre la défense et le milieu, espace normalement occupé par les MC dans un 4-3-3. La conséquence est que le système est très compact, au cœur du jeu, les latéraux ne montent pas beaucoup, surtout à droite, on se retrouve avec toute une partie du terrain non utilisé. Le bloc barcelonais étant compact en largeur, il lui est impossible d’étirer les blocs adverses. Ce que ce système apporte comparé à l’année d’avant, c’est plus de maitrise sur le ballon, notamment quand le bloc barcelonais est bas, en revanche, il y a toujours cette incapacité à déséquilibrer l’adversaire lorsqu’il joue bas, les solutions offensives passent principalement par Messi. Une nouvelle fois (et par manque d’adversité), La liga est tranquillement pliée, et une nouvelle place en finale de Copa est sécurisée, le Barça peut et doit se concentrer sur la C1. Lyon et Manchester ne sont pas au niveau du Barça, et le Barça ne tombera pas dans le piège, il lui suffit de faire ce qu’il fait contre les équipes de Liga, à savoir les contenir et les tuer sur les ouvertures qu’auront les attaquants.

Valverde Barça

En demi-finale, le Barça reçoit une des plus grosses équipes de la saison le Liverpool FC, les hommes de Klopp jouent encore la PL à fond, pendant que le Barça est déjà champion. Le match aller au Camp Nou se termine merveilleusement bien, avec un score très avantageux et légèrement chanceux de 3-0. Durant ce match, la participation défensive de Coutinho est proche du néant, sur certaines actions, il ne fait même pas semblant de presser son adversaire direct, il se contente de regarder. Malgré cela, Valverde va tout de même le titulariser au match retour, 1er mauvais son de cloche avant même le début de match. Valverde qui a cette année travaillé plusieurs schémas de jeu, le 4-3-3, le 4-2-3-1, et le 4-4-2 avec un milieu en losange, préfère rester passif en envoyant son équipe habituelle à Anfield, au lieu de tenter une approche spécifique pour ce match. Et c’est bien une des plus grosses lacunes de Valverde durant son passage au Barça, il n’a quasiment jamais su adapter son système contre l’adversaire, il ne l’a en tout cas jamais fait contre les gros adversaires.

Messi Barça

Hormis le système, l’approche tactique semble également avoir été négligé. La leçon principale que Guardiola a tiré de ces oppositions contre LFC était que les hommes de Klopp mettaient énormément d’intensité dans les 1ers quarts d’heure de chaque mi-temps, et marquent souvent dans ces moments. Lors du 1er match de PL à Anfield, Pep adapte son bloc en conséquence durant le 1er quart d’heure en le positionnant plus bas qu’à l’habitude, les joueurs de Pool se retrouvent rapidement perdus et désorientés par ce choix. Valverde lui n’a rien prévu du tout pour ce début de match, et ça ne loupe pas, un premier pressing et une erreur de Jordi Alba plus tard, le score est déjà de 1-0 pour Liverpool alors qu’on joue depuis quelques minutes. Le reste de la mi-temps est géré, le Barça vendange beaucoup d’occasion. À la mi-temps il est assez évident que le Liverpool va adopter le même schéma qu’avant, à savoir couper la mi-temps en trois quarts d’heure, un premier quart d’heure très intense, un deuxième quart d’heure moins intense, et un dernier quart d’heure de nouveau très intense.

Le Barça rentre une nouvelle fois sur le terrain sans idée, sans changement tactique, en quelques minutes d’intensité, Liverpool va marquer deux fois, et le Barça va sombrer, une nouvelle fois, après Rome, le Barça est incapable de réagir, Valverde incapable de changer quoi que ce soit dans son équipe. Le comeback de LFC, 4-0, est bien plus lourd, bien plus grave que la Romatada, à tout niveau. Valverde ayant le soutien du vestiaire, va prendre une nouvelle très mauvaise décision, celui de ne pas partir et de ne pas communiquer son départ. Lucho avait choisi de communiquer son départ suite au 4-0 encaissé au Parc, de façon à enlever la pression de ses joueurs. Valverde ne le fera pas, il va se cramponner à son poste, aujourd’hui, je ne sais toujours pas comment lui et le club ont pu croire que quoi que ce soit de bon pourrait découler de cette décision. La fin de saison du Barça vire au cauchemar, une défaite en finale de Copa contre Valence et le Barça perd sa quadruple couronne.

Messi Barça

2019/20 – La sortie par la très petite porte

Valverde aurait pu choisir d’assumer les déroutes en LDC pour protéger ses joueurs, leur retirer la pression et jouer la Copa à fond, après tout, il aurait pu partir sur un double doublé Liga-Copa en deux ans. Il a préféré tenter une troisième saison. Il n’y aura pas grand-chose à dire sur cette troisième saison si ce n’est que ce sera une lente descente aux enfers avant de se voir remercier comme un malpropre, par une direction qui le gardait pour le faire sauter au moment opportun. Il sera dit qu’il a été mal traité par le board, effectivement, mais comme dit plus haut, après s’être accroché au mépris de la raison à son poste après la deuxième humiliation consécutive en C1, son départ ne pouvait qu’être pire…

Valverde s’en ira donc en laissant l’image du coach qui n’a pas su faire vibrer les supporters par le jeu, et l’image d’un coach responsable de deux grosses humiliations consécutives sur la scène européenne, deux remontés au score historique pour le club.

Valverde Barça

En conclusion

Il me semble important de conclure en comparant le procédé. Tous les autres coachs cités en début d’article, ont réussi à mettre en place un jeu qui a fait vibrer l’Europe et ont forgé cette identité Barça dans la conscience collective, au-delà du résultat, c’est ce procédé qui a fait la réputation du Barça durant des années. Le Barça de Cruijff a beau avoir quitté la C1 sur un 4-0, il est resté pendant plus d’une décennie la référence du beau jeu, de l’audace, du plaisir, dans la conscience collective…

Louis van Gaal sera aussi le père d’un Barça alléchant, qui a joué avec élégance. Rijkaard, dans la lignée de ses prédécesseurs hollandais, va d’abord travailler le style, puis imposer durablement le 4-3-3. Il va installer le Barça au sommet de l’Europe et de l’Espagne en même temps, et le tout, en développant le jeu le plus spectaculaire à l’époque. Quant à Pep et Lucho, les élèves de Johan et Louis, je n’ai pas besoin d’en dire davantage, les exploits de leur Barça sont encore présents dans les mémoires.

Ce qu’a perdu le Barça depuis 2017, c’est ce style et cette réputation, on ne fait plus référence au Barça pour son jeu, au mieux, on allume sa télé pour voir Messi et quelques autres stars et ça, c’est une bien plus grosse perte que le 4-0 à Anfield ou le 3-0 à Rome.

Pour terminer cet article, un élément me semble important à préciser pour résumer cette période : c’est pendant les blessures de Messi que le Barça de Valverde est tactiquement le plus cohérent sur les phases offensives, la force offensive du Barça devient son collectif, et non les individualités. Valverde a donc été incapable de construire un système avec Messi, c’est là, à mon sens, son plus grand échec au Barça.

@Rivaldoway